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Une gamine sans nom

Une gamine sans nom

Prologue

L'adolescente arrêta son vélo sur le bord de la route menant au Col de Murs. Le paysage était magnifique. Elle aimait tellement cette région, cet endroit privilégié où l'on avait l’impression que rien ne pouvait arriver, que le temps s'arrêtait, que tout était possible, même le bonheur.

Sauf pour elle. Pour elle, rien n’était possible. Sa destinée était toute tracée. Elle devait souffrir, être malheureuse, mal aimée, solitaire…

Elle m’assit sur un muret de pierres sèches, contemplant le paysage brûlé par le soleil, écoutant le chant des cigales. Puis elle se ravisa. Elle avait envie de solitude et même si l’endroit était tranquille, il y passait quand même de temps en temps l’une ou l’autre voiture. Et elle voulais être seule. Elle avait besoin d’être seule avec moi-même. Une dernière fois.

Elle repris son vélo qu'elle poussa tout le long d'un sentier de chèvre s’enfonçant dans la garrigue jusqu’à un endroit où elle était sûre que personne ne viendrait la déranger.

De la sacoche de son vélo, elle tira le pistolet automatique de son père qu'elle affectionnait. Celui avec la crosse en nacre blanc. L’un de ceux qui devait lui revenir lorsqu'elle hériterait. Elle mit le canon dans sa bouche en se disant que personne ne la retrouverait jamais dans cet endroit perdu et appuya sur la détente…

Elle allait avoir seize ans. Elle s’appelait Fabienne...

Elle ne savait pas comment elle faisait pour s'en rappeler encore après tant d'années. Elle était l'enfant sans nom. La gamine sans nom plutôt...

Son père et sa mère ne l'avaient jamais appelée autrement que la gamine. Ils ne s'étaient jamais adressés à elle autrement qu'en l'appelant « Hé toi ! » ou « Dis ».

Jamais « Fabienne » ou « Chérie » ou encore « Trésor » comme le faisaient d'autres parents.

Rien de tout cela.

Rien que des pronoms impersonnels. Comme si elle n'était pas un être humain à part entière. Comme si elle n'était pas une enfant, mais un petit morceau de chair arrivé sur terre. On ne sait trop comment. On ne sait trop pourquoi. Elle n'irait pas jusqu'à dire par erreur, puisque parait-il, elle était une enfant désirée. Mais désirée pourquoi ? Par qui ? Elle se l'était toujours demandé.

Ses parents voulaient un enfant pour le modeler selon leurs principes et leurs critères.

Malgré tous leurs efforts et malgré toute sa bonne volonté, Fabienne les avait déçus. Elle n'était pas la fille qu'ils souhaitaient avoir.

Elle avait pourtant réellement essayer de ressembler à l'image de la fille idéale selon eux. Elle avait fait de réels efforts pour étouffer sa véritable personnalité. Pour la détruire, l'effacer et reconstruire à sa place la personnalité que ses parents voulaient lui voir endosser. Mais elle devait se rendre à l'évidence, elle avait lamentablement échoué. Tout comme elle échouerait par la suite dans tout ce qu'elle entreprendrait.

Elle était nulle.

Elle ne valait rien.

Elle ne servait à rien.

Combien de fois son père ne lui avait-il pas répété qu'elle n'arriverait jamais à rien dans la vie. Depuis son plus jeune âge, Fabienne n'entendait que cela. « Tu ne feras jamais d'études », « Tu es une incapable », « Tu n'auras jamais de boulot », « Tu n'arriveras jamais à rien dans la vie », « Tu es juste bonne à devenir une ouvrière qui visse les boulons ou qui balaie les cours d'usine ! »

Son père le lui avait tellement répété qu'il avait fini par l'en persuader. A force d'entendre seriner les mêmes choses, on finit par y croire. Et puis surtout, on croit d'instinct les adultes, et à plus forte raison ses parents.

Elle ne savait pas très bien pourquoi elle était née. Sa mère lui avait toujours répété qu'elle ne s'était mariée que parce qu'elle voulait avoir des enfants. Parce qu'à l'époque, être fille-mère était très mal vu. Mais Fabienne n'arrivait pas à comprendre qu'une mère puisse vouloir un enfant, puis l'abandonner moralement par la suite.

Elle ne savait pas comment expliquer tout cela. Les mots jaillissaient pêle-mêle sans réussir à exprimer ce qu'elle ressentais. Les émotions et les sentiments l'envahissaient tant sa souffrance morale était grande. Consigner tout cela sur papier dans son journal intime lui semblait aussi difficile qu'éponger une inondation avec une éponge ou un papier-buvard.

Elle ignorait pourquoi elle était née. Elle ignorait à quoi elle servait et quel était son rôle sur cette Terre.

Elle se demandait souvent si quelqu'un se souvenait encore de la petite fille, née par un soir torride d'été. Puis elle essayait d'effacer ce sentiment. Il ne fallait pas qu'elle craque. Il ne fallait pas qu'elle s'apitoie sur son sort.

Elle n'en valait pas la peine. Et puis, à quoi bon puisque tout le monde s'en fichait ?

Elle ne servait à rien.

Elle ne servait à personne.

Elle ne savais rien faire de bon, ne faisait jamais rien de bien.

Rien ne lui avait jamais réussi.

Personne n'avait besoin d'elle.

Depuis la mort de sa grand-mère, elle n'avait plus de famille. Elle n'existait plus, même pour sa propre mère.

Sa mère s'en fichait. Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait rien. Elle ne voulait rien comprendre. Elle ne voulait rien entendre. Tout ce qui comptait pour elle, c'était sa tranquillité. Peu lui importait si la vie de l'enfant qu'elle avait un jour mise au monde en prétendant l'avoir désiré, n'était qu'un long cauchemar.

Sa mère.

Pendant toute son enfance, Fabienne l'avait prise pour modèle. Elle l'avait admirée, aimée, placée par-dessus tout et tous. Elle avait cru qu'elle était une femme parfaite, une mère parfaite.

Elle lui avait donné tout son amour.

Elle lui avait donné tout son respect.
Elle lui avait donné toute sa compréhension.

Elle lui avait donné toute son énergie.

Et lorsqu'elle n'a plus eu besoin de Fabienne, elle l'avait jetée comme un torchon sale dont on veut se débarrasser au plus vite. Pour qu'il ne fasse pas tache dans sa vie impeccable. Pour qu'elle puisse très vite se décharger de toute responsabilité. Pour que le gâchis qu'était la vie de son enfant ne lui soit imputé qu'à elle-même.

Sa mère ne pourrait supporter d'avoir la moindre responsabilité. Et ce qu'elle ne peut supporter, elle le nie tout simplement. Elle le nie tellement fort qu'elle finit par s'en convaincre elle-même.

Fabienne ne se souvenait pas d'avoir un jour appelé sa mère « maman ». Elle ne se souvenait de l'avoir appelée qu'en disant « Hé ! » ou en parlant fort ou en la regardant afin qu'elle sache qu'elle s'adresse à elle. Ou encore en ne l'appelant pas, tout simplement.

Elle ignorait pourquoi, mais confusément elle ressentait le fait de dire « maman » comme une preuve de faiblesse de sa part.

Aujourd'hui, il lui restait des séquelles. Fabienne éprouvait les plus grandes difficultés à appeler quelqu'un par son prénom, à dire « monsieur » ou « madame », à appeler les choses, objets, animaux par leur nom.

Elle savait que cela venait de là, mais ignorait pourquoi.

Pourtant, sa mère n'était pas méchante. Elle s'occupait bien de Fabienne et de son frère David. Elle les lavait et leur avait appris à se laver. Leur petit déjeuner était prêt tous les matins sur la table de la cuisine au moment où ils se levaient. Le repas du soir était toujours prêt également et ils n'avaient jamais manqué de rien. Ou plutôt, ils n'avaient jamais eu faim et le frigo était toujours rempli. Elle les emmenait chez le pédiatre. Ils avaient reçu tous leurs vaccins. Bref, selon ses propres critères, elle était une mère parfaite.

Selon ce que pensait Fabienne aussi. Pour elle, c'était elle qui était en cause. Elle qui était responsable de tout.

Mais. Le mot qui vient ensuite est « mais ».

S'il n'y avait pas eu Lui. Son père. Celui que Fabienne n'avait jamais réussi non plus à appeler « papa ». Pour la même raison qu'elle ne parvenait pas à appeler sa mère « maman » ? Cela Fabienne n'en savait rien. Bien qu'elle ressentait une différence. Autant prononcer le mot « maman » lui semblait une preuve de faiblesse, la démonstration de son besoin d'amour. Autant elle ressentait comme une terrible humiliation, une honte sans nom de prononcer le mot « papa ». Cela lui arrachait le cœur, les tripes, les entrailles...

Pourtant, appeler son grand-père « bon-papa » ne la gênait en revanche absolument pas.

Pourquoi ?

Elle n'en savait rien.

Peut-être pour toute l'histoire de Fabienne en général ou peut-être uniquement pour un point de détail de son histoire.

Elle ne savait pas.

Elle n'en savait rien.

Elle essayait de trouver des réponses depuis des années sans jamais y parvenir. Même si elle en avait trouvé certaines. Sans être sûre toutefois que les réponses qu'elle avait trouvées étaient exactes.

Donc, s'il n'y avait pas eu Lui, sa mère aurait sans doute été vraiment la meilleure des mères. La meilleure des femmes. Seulement il détruisait et salissait tout ce qu'il touchait, tout ce qu'il approchait. Il rendait les gens mauvais, haineux. Il faisait ressortir tout ce qu'il pouvait y avoir de pire en tout ceux qui l'approchaient. Et aussi en tout ceux qui étaient obligés de vivre près de lui.

Ainsi Fabienne n'avait pas mûri, elle avait pourri.

Sa mère était normale. Avant. D'après les échos que Fabienne avait eu de la part de sa famille maternelle, sa mère était, avant son mariage, une jeune femme très jolie, sympathique, coquette, aimant rire, danser, s'amuser, avoir des amis... Une jeune femme qui plaisait. Une jeune femme qu'on aimait. Une jeune femme comme des milliers d'autres. Une jeune femme qui aurait pu connaître un tout autre destin si elle s'était mariée avec un gentil garçon plutôt qu'avec Lui.

Mais voilà, c’était lui qu’elle avait choisi.

Pourquoi ? Le mystère reste entier.

Bien sûr il était beau garçon, il avait « une bonne situation », il s’exprimait bien, il était cultivé… Mais elle ne l’aimait pas. Elle ne l’a jamais aimé. Elle n’a jamais vibré d’amour pour lui. Elle l’a simplement épousé parce qu’il était beau et avait une bonne situation et qu’il lui semblait idéal pour avoir des enfants.

Elle ne l’aimait pas, pourtant elle a refusé d’écouter sa mère qui la mettait en garde contre lui car elle avait immédiatement percé sa véritable personnalité à jour.

La grand-mère de Fabienne était terriblement psychologue et pouvait jauger une personne au premier coup d’œil, même à travers un écran de télévision. Et il ne lui avait fallu que quelques discussions avec Lui pour comprendre qu'il était un homme dangereux pour sa fille et ses futurs petits-enfants. Un homme qui ne devait pas se marier. Surtout avec sa fille !

Malheureusement pour Fabienne et David, leur mère a refusé d'écouter la sienne.

Combien de fois, par la suite, sa grand-mère ne raconterait-elle pas à Fabienne que sa mère avait ignoré toutes ses mises en garde lorsqu'elle l'avait suppliée, jusqu'au dernier moment, le jour même de son mariage, de ne pas épouser cet homme qui ferait son malheur ?

Combien de fois, la grand-mère de Fabienne ne lui demanderait-elle pas en pleurant, de protéger sa fille, son unique fille, car elle était malheureuse avec lui mais ne le quitterait jamais ?

Combien de fois sa grand-mère ne lui demanderait-elle pas de « mettre de l'eau dans son vin », pour « sa mère », parce que Fabienne elle, pourrait partir, quitter la maison, se marier un jour, mais sa mère ne le quitterait jamais. Elle était trop faible. Trop fragile. Trop naïve. Elle s'était condamnée elle-même à vivre avec lui jusqu'à la fin de ses jours ?

Combien de fois, sa grand-mère, remplie de haine à l'égard de son père, ne répétera t'elle pas à Fabienne qu'elle aimerait qu'il crève, qu'il encastre sa voiture contre un pylône et qu'il libère sa fille et ses petits-enfants de sa présence ?

Fabienne avait sincèrement essayé de tout mettre en œuvre pour faire plaisir à sa grand-mère qu'elle adorait. C'était même la personne qu'elle aimait le plus au monde. Elle voulait lui faire plaisir. Elle voulait aussi protéger sa mère. Elle essayait de « mettre de l'eau dans son vin », faisant des efforts quelquefois surhumains.

Mais cela ne fonctionnait jamais.

Fabienne n'était qu'une enfant.

Elle se sentait investie d'une responsabilité bien trop grande pour son âge.

Et surtout, quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle dise ou qu'elle ne dise pas, ses paroles, ses silences, ses actes étaient interprétés de manière totalement contraire au message qu'elle essayait de faire passer.

Fabienne ne savait pas comment exprimer tout cela.

Elle voulait sincèrement faire plaisir à sa grand-mère. Elle voulait sincèrement protéger sa mère.

Elle comprenait, qu'ayant perdu jadis une petite fille de 23 mois, sa grand-mère ait très peur qu'il n'arrive quelque chose à sa deuxième fille et ferait n'importe quoi pour la préserver, la protéger, mais qu'elle était fragilisée par son âge et son état de santé. Donc Fabienne se devait de faire tout ce qu'elle pouvait pour la remplacer. Pour faire ce que sa grand-mère aurait voulu savoir faire et pour protéger sa mère à sa place.

Elle avait essayé. Vraiment essayé. Mais elle avait échoué, comme elle avait tout échoué dans sa vie. Peut-être à cause de cela finalement. Parce qu'elle n'était pas parvenue à protéger ma mère comme le lui avait demandé sa grand-mère.

Pourtant elle en avait fait des efforts. Elle s'était laissé insulter, humilier, rabaisser en essayant de ne jamais réagir. Enfin, de réagir le moins possible car il est vrai qu'à certains moment Fabienne n'en pouvait plus d'entendre sa mère lui répéter : « Tais-toi ! Laisse le dire ! Sois plus adulte que lui ! Fais semblant d'avoir tort. Donne lui raison, il ne supporte pas qu'on le contrarie même quand il a tort ! » (Surtout quand il a tort aurait-elle du préciser.

Fabienne l'avait fait. Elle avait fait tout son possible. Elle avait toujours « pris sur elle ». Endossé des faits inexistants, des fautes imaginaires, pour tenir la promesse faite à sa grand-mère et protéger sa mère qui la suppliait : « Laisse le faire ! Laisse le dire ! Ne réponds pas sinon il va encore nous mener une vie impossible ! »

Une vie impossible !

Le mot est tellement faible.

Lorsqu'on osait le contrarier si peu que ce soit, il se mettait à hurler, la bave aux lèvres, devenant tout rouge, que toute la famille était contre lui. Que sa femme et ses enfants étaient des traîtres. Que les frères de sa femme la « remontaient » contre lui. Que la mère de sa femme et même ses parents à lui, ainsi que toute sa famille et celle de sa femme « remontaient » ses enfants contre lui afin que nous le détestions. Qu'ils poussaient ses enfants à le haïr, à le contredire, à le trahir...

Et le cris duraient quelquefois des heures, puis étaient suivis d'une période de bouderie pouvant varier entre quelques jours et une année complète sans adresser la parole à qui que ce soit... Se contentant de se mettre parfois à hurler sa haine, son mépris et sa rage envers sa femme et ses enfants.

Mais il fallait se taire. Ne rien dire. Accepter de faire semblant d'avoir tort. Le laisser dire des choses horribles, insultantes, humiliantes, rabaissantes, injustes, méchantes sans réagir.

En même temps de faire semblant d'avoir tort, Fabienne devait également comprendre sa mère qui lui expliquait qu'elle n'en pouvait plus. Elle était persuadée ou se persuadait ne pas pouvoir quitter son mari en expliquant à Fabienne qu'il était tellement puissant qu'il parviendrait à lui prendre ses enfants, à les aliéner contre elle et à l'empêcher de les revoir parce qu'il gagnait mieux sa vie qu'elle, il était propriétaire, il avait de l'argent, des relations...

Et Fabienne la croyait. Elle admirait son courage de rester avec cet homme. De ne pas fuir seule. De rester uniquement pour protéger ses enfants. Et elle redoublait d'efforts (inutiles) pour lui faciliter la vie.

Le doute ne s'est infiltré en Fabienne que bien des années plus tard. Lorsque, évoquant la possibilité d'une séparation avec Lui, sa mère avait objecté que dans ce cas, elle devrait racheter des meubles car elle n'oserait jamais réclamer la moitié des biens qu'elle avait pourtant payé de compte à demi avec lui. Elle devrait assumer un loyer et des charges alors que, vivant chez lui, la maison était payée puisqu'il était déjà propriétaire. Et puis, elle ne pourrait plus jamais partir en vacances alors que maintenant elle en avait pris l'habitude et ce serait trop dur d'y renoncer. Fabienne pouvait bien faire encore quelques efforts pour le supporter. Plus tard elle quitterait la maison et échapperait à tout cela. Elle ne devait pas être égoïste.

Mais ce n'était encore qu'un simple doute. Fabienne se sentait bien trop coupable d'exister et d'être la cause de la destruction du couple de ses parents pour chercher plus avant.

C'était normal qu'elle souffrait puisque tout était de sa faute. La haine de son père à son encontre, la mésentente entre ses parents, la famille qui était « contre lui », tout cela était de la faute de Fabienne. Donc elle ne méritait rien. Ni amour, ni compréhension. D'ailleurs, Il l'a décidé ainsi depuis bien longtemps. « Elle n'a droit à RIEN après ce qu'elle a fait ! ». Au point que c'était devenu un fait établi pour sa mère et son frère également.

Alors Fabienne finit par se convaincre qu'elle ne méritait rien. Qu'elle était une fille indigne. Elle n'avait pas droit au bonheur, à l'amour, à un travail valorisant, à des vacances parce qu'elle ne le méritait pas.

Le doute s'était pourtant transformé en certitude qui fait mal, le jour où sa mère dit à Fabienne : « Oui c'est vrai, je ne m'entends pas avec lui, mais c'est à cause de toi ! C'est ta faute ! C'est parce qu'il ne t'aime pas ! Je n'aurais aucun problème avec lui si tu n'étais pas là et si je ne devais pas toujours te défendre contre lui, parce qu'alors il m'accuse de prendre ton parti, d'être de ton côté contre lui ! »

Fabienne ressentit cette phrase comme un coup de poignard en plein cœur. Elle avait tout donné à sa mère. Son amour, sa vie, son énergie, sa personnalité, ses goûts, ses envies. Elle s’efforçait également de lui rendre la vie plus facile en l'aidant, dans la mesure de ses possibilités et de ses horaires scolaires aux travaux ménagers. Courses, nettoyage, repassage, vaisselle. Et Fabienne trouvait cela normal. Elle n'estimait pas être exploitée et ne se plaignait pas. C'était normal d'aider sa mère, sa grand-mère, sa famille. Sa mère rentrait le soir du travail très fatiguée. Elle se levait tôt et en plus de son travail, s'occupait seule de toutes les charges de la maison si Fabienne ne l'aidait pas. Elle n'avait pas un instant à elle. Pas la possibilité de regarder un film. Alors oui, Fabienne trouvait normal de l'aider.

Pendant des heures lorsqu'elles étaient seules à deux, Fabienne écoutait sa mère lui expliquer sa vie avec son père. Le fait qu'elle n'était pas heureuse. Elle n'aurait pas du l'épouser mais elle ne pouvait pas le quitter « pour les enfants », pour les protéger, pour qu'ils ne tombent pas « entre ses pattes ». Elle expliquait qu'il était en train de devenir fou à cause de la relation avec sa mère qui se rapprochait de celle de Norman Bates avec sa mère dans « Psychose ». Que certains membres de sa famille étaient morts fous. Notamment une cousine qui n'avait pas supporté la mort de sa mère.

En fait, personne n'osait s'opposer à lui. Tout le monde lui donnait raison pour lui faire plaisir ou par peur ou pour ne plus l'entendre hurler des inepties. Cette attitude de la part de tous les membres de sa famille et belle-famille finit par le conforter définitivement dans le sentiment qu'il détenait le savoir universel. Personne, absolument personne n'avait le droit de le contrarier ni de le contredire. Il avait toujours raison. Les autres avaient toujours tort. Et ceux qui ne vivaient pas selon ses critères étaient fous. C'était aussi simple que cela.

Fabienne avait écouté sa mère lui expliquer qu'elle n'aimait pas son mari. Elle le détestait. Elle le méprisait. Elle ne l'avait jamais aimé. Elle faisait tout et lui rien. Ce qui était vrai. Il lui rappelait et lui démontrait sans cesse qu'elle avait moins de valeur que lui parce qu'elle venait d'un milieu pauvre et gagnait moins bien sa vie que lui. Il n'avait jamais rien donné pour l'éducation de ses enfants. Elle les avait élevés seule, avec son seul salaire et ni Fabienne, ni David n'avaient à lui dire merci de quoi que ce soit. Il ne payait que les charges de la maison, économisant la presque totalité de son salaire tandis qu'elle dépensait chaque mois tout son salaire pour les besoins du ménage. A cause de cela elle ne parvenait pas à mettre le moindre cent de côté alors qu'elle travaillait depuis l'âge de 13 ans.

Fabienne avait consolé sa mère. Elle était resté avec elle. Près d'elle. Elle ne l'avait jamais abandonnée ni laissée seule.

Mieux encore, elle s'était coulée dans le moule de la fille idéale pour faire plaisir à sa mère et tenter de compenser un peu le cauchemar qu'était sa vie. Elle faisait semblant d'être une adolescente qu'elle n'était pas en réalité. Elle feignait aimer des choses qu'elle n'appréciait pas du tout. De ne pas aimer des choses qu'elle aimait. Elle montrait une personnalité tout à fait différente de celle qui était la sienne propre et qu'elle étouffait au fond d'elle-même pour ne pas faire de peine à sa mère. Pour ne pas la décevoir. Et aussi pour ne pas la faire passer pour une menteuse aux yeux de la famille, de ses collègues, des gens qu'elle connaissait et à qui elle présentait Fabienne telle qu'elle n'était pas du tout.

C'était dur de vivre dans la peau d'une autre. D'une autre qui n'existait pas. De ne pas pouvoir être soi-même. Jamais. De devoir étouffer sa personnalité.

Accepter d'étouffer sa personnalité au point même de faire semblant d'être du signe de la Vierge comme sa mère le souhaitait, alors qu'en réalité Fabienne était Lion.

C'était dur, mais pour sa mère, Fabienne le faisait. C'était un cadeau qu'elle lui faisait. Fabienne offrait à sa mère la fille qu'elle aurait voulu avoir mais qu'elle n'était pas. Mais sa mère n'a jamais compris la valeur de ce cadeau ni l'amour infini que lui portait sa fille. Un amour infini au point de lui offrir plus que sa propre vie, jusqu'à son âme dans l'espoir d'un peu d'amour et de respect en retour.

Un jour, Fabienne essaya de faire comprendre à sa mère à quel point celle-ci l'avait blessée en lui disant : « si tu n’avais pas été là je n’aurais eu aucun problème avec lui… », la réponse de sa mère fut :

« Tu essaies vraiment toujours de culpabiliser les autres toi ! »

Et pourtant non. Fabienne n'essayait pas du tout de culpabiliser sa mère en lui rappelant ces paroles. Elle voulait simplement la faire réfléchir. Lui faire réaliser que le fait qu'elle en arrive à avoir tellement peur de son mari (Fabienne était incapable de dire « mon père »), qu'elle reprochait à sa propre fille d'être née et que cela la blessait au plus profond de son être.

Pourquoi agissait-elle ainsi ? Elle avait pourtant eu une mère elle. Une mère qui s'était toujours préoccupée de sa fille. Une mère qui l'avait aimée et protégée jusqu'au dernier jour de sa vie. Une mère qui l'avait toujours aidée et soutenue, quoi qu'elle dise, quoi qu'elle fasse. Qu'elle ait tort ou raison. Une mère qui avait toujours pris sa défense. Donc la mère de Fabienne ne pouvait invoquer l'excuse d'avoir manqué d'amour maternel ou d'ignorer ce qu'était l'amour. Elle avait eu le plus bel exemple de mère que l'on puisse avoir. Alors pourquoi n'avait-elle pas su être une mère pour Fabienne ? Pourquoi avait-elle sacrifiée à un homme qu'elle n'avait jamais aimé et dont elle avait peur ?

Jamais sa mère à elle n'aurait agi ainsi. Jamais. Sa mère se serait battue contre vents et marées pour protéger sa fille.

Lui ne lui offrait rien. Rien que du mépris, de la méchanceté. Une vie indigne de servante, même pas payée. Toujours occupée à nettoyer, astiquer une maison qu'elle payait avec lui mais qui ne lui appartiendrait jamais car il avait fait mettre l'acte de propriété à son seul nom à lui. « Parce que les femmes sont toutes les mêmes ! Toutes des voleuses, des profiteuses qui ne recherchent un mari aisé et propriétaire que pour divorcer par la suite en emportant la moitié des biens et de l'argent... »

Fabienne offrait à sa mère tout ce qu'elle pouvait lui donner. Elle ne demandait qu'à lui montrer à quel point son amour était profond. Elle aimait, respectait et admirait sa mère. Elle l'aidait, l'écoutait, la conseillait. Et pourtant il suffisait d'un rien pour qu'elle se retourne vers le mari qu'elle prétendait détester et mépriser et pour qu'elle dénigre sa fille.

Elle allait même jusqu'à reprocher à sa propre fille d'avoir écouté ses confidences lorsqu'elle s'était mise à lui raconter sa vie avec lui depuis le début de leur mariage.

A force de voir son mari agir méchamment avec Fabienne, sa mère avait fini par lui raconter les méchancetés qu'il lui avait faites à elle... pour ensuite reprocher à sa fille de ne pas aimer son père, de ne pas le comprendre, de refuser de faire des efforts... et surtout de ne pas avoir compris qu'elle n'aurait pas du lui raconter cela car elle était trop jeune !

Fabienne ne savait plus où elle en était ni comment réagir. Elle passait son enfance à ne pas savoir sur quel pied danser. Rien n'était jamais bon. Lorsqu'elle faisait un telle chose, une fois c'était parfait, et une autre fois, la même chose était une catastrophe. Et dans tous les cas Fabienne aurait du le prévoir, l'imaginer.

Elle passait son enfance à ne pas être une enfant.

D'ailleurs à chaque anniversaire on la vieillissait d'un an par rapport à son âge réel. « Ah tu as X ans, maintenant tu vas sur tes Y ! »

Fabienne n'avait même pas le temps de profiter de l'âge qu'elle avait réellement. C'était peut-être bête expliqué comme cela, mais son enfance en avait été terriblement perturbée. Toujours cette impression de devoir jouer un rôle, d'être obligée d'être quelqu'un d'autre, d'avoir un autre signe du Zodiaque aussi car le signe du Lion n'était pas un « bon » signe.

Fabienne venait d'avoir 7 ans, mais pour ses parents elle en avait déjà 8. Elle ne savait plus où elle en était ni ce qu'elle devait répondre lorsqu'on l'interrogeait.

La petite fille finit par s'enfermer dans le silence parce qu'elle était envahie par trop de sensations, de sentiments. Trop de paroles impossibles à prononcer. Trop de contradictions engendrant une terreur de mal faire. Trop de non compréhension. Trop de tout.

Fabienne avait bien trop peur de laisser échapper quelque chose qu'elle n'avait pas le droit de dire sous peine de passer pour une traîtresse. Sous peine d'exciter la rage, la haine et les hurlements de son père. Sans compter la colère de sa mère : « C'est ta faute ! C'est encore une fois toi qui l'a énervé ! A cause de toi il va encore me mener une vie impossible ! »

Fabienne passa son enfance à ne pas être une enfant. On lui répétait encore et encore qu'elle n'en n'était plus une. « Tu as 6 ans, tu n'es plus une enfant tout de même ! » ou encore « A 8 ans ton grand-père maternel travaillait déjà comme maçon et toi tu n'es qu'une fainéante qui te contente d'aller à l'école ! Tu ne rapportes rien à la maison ! Tu ne participe pas aux frais du ménage ! On doit t'entretenir ! Tu n'as pas honte ? »

Oui c'était vrai. Son grand-père maternel avait débuté comme maçon à 8 ans. Mais c'était au début du siècle ! Et Lui, Lui qui parlait du père de sa femme qu'il n'avait même pas connu. Il n'avait pas du tout été travailler à 8 ans. Il avait été un enfant. Traité comme un enfant. Il avait pu faire des études malgré le fait qu'il était né juste avant la guerre et qu'à cette époque la vie n'était facile pour personne.

Alors pourquoi répétait-il sans arrêt à Fabienne qu'elle n'était qu'une enfant pourrie et fainéante ne faisant rien d'autre qu'aller à l'école ? Fabienne ne comprenait pas et se demandait vainement ce qu'elle aurait pu faire d'autre ? Pourquoi voulait-Il faire vivre à sa fille des expériences que lui même n'avait pas vécues ? Pourquoi Fabienne n'avait-elle pas droit à ce que Lui avait eu et qui n'était pas bien méchant ?

Que cherchait-il à faire ?

Fabienne était frustrée. Elle avait le sentiment qu'on lui volait une partie de son enfance, de sa vie, de son âme. Elle n'osait pas le dire ni même l'évoquer dans son journal intime tant cela lui semblait stupide et ridicule. Pourtant elle était terriblement malheureuse.

Fabienne ne s'était jamais sentie à l'aise. Ni chez elle, ni à l'école, ni nulle part. Elle avait l'impression de n'être à sa place nulle part. D'être en transit depuis toujours et pour toujours.

Pourtant, à en croire son parrain et sa grand-mère maternelle, il aurait été une époque où elle aurait été une enfant différente. Une petite fille heureuse et épanouie. Elle aurait même chanté, dansé, ri et parlé...

Une autre époque, un autre monde, car elle ne s'en souvenait absolument pas.

D'après son parrain, cela aurait duré jusqu'à ses 3 ans. Ensuite c'était comme si Fabienne n'était plus la même enfant. Plus jamais elle n'a parlé, chanté, ri, dansé. Elle s'est enfermée dans un mutisme dont elle finirait par ne plus jamais sortir.

A l'école maternelle, Fabienne n'ouvrait pas la bouche. Déjà là elle ne se sentait pas à sa place au milieu des enfants de son âge. Elle ne comprenait pas pourquoi ses parents l'avaient envoyé dans cet endroit. Elle ne parvenait plus à se rappeler si on lui avait expliqué où elle allait et pourquoi. Elle ne s'en rappelait plus du tout. Tout ce dont elle se souvenait c'était qu'elle se sentait aussi mal que possible au milieu des enfants. Elle avait l'impression qu'ils la regardaient, qu'ils la jugeaient.

Par la suite, Fabienne apprit que sa grand-mère paternelle avait fait croire à ses parents que la petite fille lui aurait dit souhaiter aller à l'école. Ce n'était pas vrai. Fabienne n'avait pas du tout envie d'y aller. Elle comprenait parfaitement que sa grand-mère avait dit cela à ses parents parce que c'était trop dur pour elle de s'occuper à la fois de sa petite fille et de son magasin. Si elle l'avait dit franchement, Fabienne l'aurait sans doute et même certainement accepté. Même toute jeune elle comprenait qu'il fallait ménager les adultes car ils étaient fatigués. Ils travaillaient beaucoup. Elle n'aurait sans doute pas plus aimé l'école, mais du moins aurait-elle eu l'impression de rendre service à sa grand-mère et de souffrir pour une bonne cause.

Fabienne comprenait que sa grand-mère travaillait alors qu'elle était déjà âgée et que d'autres personnes de son âge étaient déjà retraitées. Elle ne lui en aurait pas voulu si sa grand-mère lui avait expliqué qu'elle préférait qu'elle aille à l'école.

Fabienne s'ennuyait. Tout au long de la journée, elle s'ennuyait. Elle n'aimait pas son institutrice et celle-ci ne devait pas l'aimer beaucoup. Par la suite, lorsque devenue plus âgée Fabienne reverrait cette dame, jamais celle-ci ne lui dirait bonjour, comme elle le faisait pourtant avec ses autres anciens élèves. Pourquoi ? Fabienne l'ignorerait toujours.

Peut-être lui en voulait-elle pour un événement survenu durant l'année que Fabienne passa dans sa classe ?

Ignorant sans doute qu'il était interdit aux filles de venir en pantalon à l'école, la mère de Fabienne l'avait habillée ce matin-là avec une tunique et un pantalon jaune et blanc que la petite fille affectionnait.

Fabienne aussi ignorait totalement que les pantalons étaient interdits aux filles. Elle avait trois ans !

Quand l'institutrice la vit entrer en classe, elle fût horrifiée et prit immédiatement l'enfant par le bras en la secouant et en criant qu'il était interdit de mettre des pantalons dans l'école. Ensuite elle la traîna jusque chez la directrice, comme si la petite fille avait commis un délit particulièrement grave.

Fabienne était morte de peur. Elle se demandait ce qui l'attendait. Elle était trop petite et ne comprit pas grand-chose du dialogue entre les deux femmes, mais étant donné la colère de son institutrice et la gentillesse dont la directrice fit preuve à son égard, Fabienne se doutait que cela ne devait pas être positif pour elle.

Seulement le mal était fait. Fabienne était choquée. Ce sont des chose qu'un enfant n'oublie pas. Elle avait honte. Terriblement honte d'avoir été traitée ainsi. De s'être fait remarquer. D'avoir été humiliée devant toute la classe. Même si les autres enfants n'avaient probablement rien compris à ce qui se passait, ils devaient se dire que Fabienne devait avoir fait quelque chose de terriblement grave pour être emmenée ainsi chez la directrice.

Fabienne ne pensait pas avoir vécu un moment heureux à l'école. En tout cas elle n'en n'avait aucun souvenir. Elle ne se rappelait que de moments déplaisants, gênants, tristes.

Non vraiment. Contrairement à beaucoup d'enfants, Fabienne n'avait pas du tout aimé l'école maternelle et n'en conservait que très peu de souvenirs.

Ce dont elle se rappelait en revanche, c'était d'avoir appris l'alphabet à l'endroit, à l'envers... ainsi qu'à lire et à écrire avec sa grand-mère, dans son magasin, avant qu'elle ne fasse son entrée au première primaire.

Fabienne avait cinq ans. Sa mère était enceinte de son petit frère. Ordinairement c'était elle qui allait dormir après Lui. Mais exceptionnellement elle était allée au lit plus tôt que d'habitude. Elle dormait car elle était fatiguée et ne se sentait pas très bien. Fabienne était déjà au lit depuis un petit temps. Peut-être dormait-elle déjà. Mais Il l'a réveillé. Il était nu. Il était entré dans le lit de la petite fille et s'était collé contre elle.

Fabienne avait peur. Elle ne comprenait pas ce qu'il lui voulait. Ce qui se passait. Elle voulait crier mais n'osait pas. Elle avait tellement peur de lui.

Par la suite, Il l'envoya dans le lit de sa mère pour qu'elle achève la nuit avec elle en prétextant s'être trompé de chambre. Il reprocha même à Fabienne de n'avoir pas assez de place pour dormir dans son lit.

Il prétendait s'être trompé de chambre en revenant de la toilette... Mais il n'avait pas été aux toilettes. Il était venu directement de son lit dans la chambre de Fabienne. Dans le lit de Fabienne.

Le lendemain il a raconté lui-même l'histoire à tout le monde, faisant passer cela pour une erreur à la limite amusante.

Tout le monde a cru à sa version. Toute la famille a trouvé cela très drôle.

Personne n'a demandé à Fabienne ce qu'elle en pensait...

Un jour Fabienne voulut Lui faire plaisir. Ordinairement, tous les jeudi soirs, Il envoyait Fabienne acheter ses magazines télé. Jamais il n'y allait lui-même. La petite fille, pensant lui faire plaisir, acheta donc les magazines de son père en allant acheter le journal et les cigarettes de son grand-père. Elle paya le tout de sa poche, espérant peut-être un peu de gentillesse de Sa part. Elle était fière d'elle. Elle se disait qu'Il allait peut-être la remercier, être content d'elle pour une fois...

Comment avait-elle pu s'imaginer cela ?

Ce jour-là, pour la toute première fois, Il avait acheté les magazines lui-même. Au lieu de remercier Fabienne, Il se mit à hurler, la bave aux lèvres qu'elle lui avait fait dépenser de l'argent pour rien, elle n'était qu'une incapable, une gamine de merde, bonne à rien...

Parce que, selon lui, le fait que sa fille lui ait acheté les magazines avec son propre argent, Lui avait fait dépenser de l'argent pour rien, car s'il l'avait su il ne les aurait pas achetés.

Il se remit à hurler :

« Tu vas me rembourser ! Je te jure que tu vas me rembourser ! Si tu ne me rembourses pas je retiendrai l'argent sur ton salaire quand tu travailleras ! »

Fabienne avait 6 ans...

Sa mère voulut prendre sa défense :

-Elle a voulu te faire plaisir, t'offrir un cadeau... Commença t'elle prudemment.

Mais Il réagit au quart de tour.

-J’aurais du m’en douter ! Tu es contre moi ! Tu es toujours contre moi ! C’est toujours la même chose dans cette baraque ! Tout le monde est contre moi pour protéger cette sale gamine de merde qui ne fait que des conneries ! Mais elle me remboursera, je te jure qu’elle me remboursera ! Elle veut me ruiner ! Elle m’a fait dépensé de l’argent inutilement la garce !

Sa mère changea alors de tactique et tenta de persuader la petite fille qu'en fait, elle avait raison mais que, pour sa tranquillité et celle de tout le monde, elle devait faire semblant d'avoir tort et le rembourser.

-Donne-lui l'argent de ton portefeuille. Je te le rendrai par après. Fais-le, pour qu'il arrête son cirque. Laisse-le croire qu'il a raison. Sois plus adulte que Lui...

« Sois plus adulte que Lui... »

La phrase qui berça toute l'enfance de Fabienne et qui contribua à faire de la petite fille une écorchée vive, une révoltée.

Sa mère pensait la flatter en obtenant d'elle qu'elle fasse ce qu'elle voulait pour « qu'il ne mène pas une vie impossible à tout le monde ». En faisant croire à sa fille qu'elle aurait été plus adulte qu'un adulte. Elle ne se rendait même pas compte à quel point elle faisait mal à sa fille. Fabienne n'était pas flattée mais révoltée lorsque sa mère lui demandait cela. Elle n'avait pas envie de donner raison à son père, mais de faire comprendre à sa mère que l'enfant c'était elle et non Lui ! Mais elle ne le faisait pas car elle était incapable d'exprimer ce qu'elle ressentais. Et aussi parce qu'elle avait promis à sa grand-mère maternelle de faire tout ce qui était en son pouvoir pour rendre la vie moins difficile à sa mère. Seulement cela la mettait hors d'elle, attisait sa haine envers Lui, son envie de Le voir mort, de s'enfuir de cette maison qui n'était pas un foyer pour elle.

Pourtant Fabienne céda. Comme elle céderait toujours. Pour sa mère et surtout, pour sa grand-mère. Et cette « victoire » de sa mère n'était que la première d'une longue série.

Elle, s'imaginant que Fabienne était fière et flattée d'être jugée « plus adulte » que son père. Fabienne, ne voulant manquer à la parole donnée à sa grand-mère, de protéger sa mère. Pour rassurer sa grand-mère, pour qu'elle ne pleure plus en pensant que son unique fille était malheureuse et avait raté sa vie et son mariage.

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